Des ménages déménagent
Un reportage de Julien Johan
Qui n’a jamais déménagé dans sa vie ?
Qui n’a jamais expérimenté ce moment si particulier où l’on se projette dans l’avenir, tout en ne pouvant pas s’empêcher de regarder dans le rétroviseur ?
Nous avons tous connu ces instants délicats, parfois pénibles : faire le tri dans ses affaires, sans se laisser submerger par les souvenirs, et les confier à des déménageurs professionnels, une des corporations qui n’a pas toujours eu bonne réputation.
Nous sommes partis à la rencontre de familles sur le point de déménager d’une part, et de ces travailleurs de force d’autre part, pour comprendre tous les enjeux de cette étape de la vie.
A Paris, dans les beaux quartiers, une équipe de déménageurs spécialisés dans les déplacements de meubles lourds est au travail. Leur mission du jour, faire descendre un magnifique piano à queue qui trône seul, dans un appartement vide au 4ème étage. Et pour cela, il n’y a qu’un moyen : le désosser à coups de marteaux et accrocher le corps de l’instrument à une grue ! On imagine aisément la joie de ces travailleurs qui croisent ces magnifiques instruments de musique régulièrement… mais non ! « On déteste les pianos, parce qu’ils nous font mal au dos… » dit Olivier, l’un d’entre eux.
Mais les états d’âme ne sont pas l’apanage des déménageurs. Selon plusieurs études d’opinion, le déménagement est, après le deuil et le licenciement, la troisième cause de stress dans la vie des français.
A Saint-Germain en Laye, la famille Thomas-Guiroy va l’apprendre à ses dépens…
Le père, Gilles, vient d’être muté à Lille et Anne-Laure, la mère, a beau avoir préparé ce déménagement depuis plusieurs semaines, l’appréhension monte d’heure en heure ! « Mon mari a choisi le moins cher des cinq devis que nous avions, alors j’espère que les déménageurs seront un minimum sérieux ! ».
Celui qui déménage attend de son déménageur, un rien de délicatesse.
Le déménageur, lui, veut aller vite. Durant ce remue-ménage, le fils aîné Maxime va voir sa chambre se vider devant ses yeux et cela ne va pas lui plaire du tout. Au bord des larmes, il regarde son jardin pour la dernière fois : « Je me souviendrai toujours de cet arbre !
Mais le pire reste à venir… l’emménagement à Lille va cumuler tous les déboires que l’on peut craindre lors de cette épreuve : vitre cassée, murs abimés, parquet rayé et surtout, l’armoire normande, qui avait appartenu à l’arrière grand-mère, restera en pièces détachées dans le salon, les déménageurs refusant de la remonter de peur de la casser. « On ne ferait pas ça tous les jours ! » conclue Gilles, le père de famille.
Les déménageurs sont parfois redoutés par leurs clients, et ils le savent bien. C’est pourquoi certaines entreprises essayent de changer cette image. A Dôle, dans le Jura, Thierry Gros a repris la PME de son père et a voulu la moderniser : « On a cette image de gros bras qui boivent de la bière au cul du camion. Maintenant, le tricot «marcel» est interdit, on ne montre pas ses muscles à la dame ! »
Si Thierry Gros demande à ses employés d’être toujours polis et rassurants, c’est parce qu’il sait qu’ils vont entrer dans l’intimité des clients comme aucune autre profession. « On va vraiment entrer dans votre vie, on va ouvrir vos placards, on va prendre votre literie, et pour ça il faut qu’il y ait une confiance ! »
Et la prochaine cliente de Thierry Gros va vraiment avoir besoin de faire confiance à ces déménageurs ! Elle a décidé de quitter son compagnon et de vider soigneusement l’appartement alors qu’il est en déplacement professionnel à 130 km de là : « Je laisse le lit, le matelas et le sommier c’est tout ! » dit, autoritaire, Marie-Ange. Si les déménageurs vivent tranquillement cette journée (« J’aimerais pas que ça m’arrive mais c’est les risques de la vie ! » s’exclame Laurent en démontant une armoire de la chambre à coucher), Thierry Gros est plus inquiet : son père ,30 ans plus tôt, s’était fait tirer dessus dans cette situation, parce que le mari était rentré plus tôt ! « Le plus dangereux, ce sont les voisins. Ce sont eux qui vont se faire un plaisir de prévenir le compagnon si jamais ils ont un conflit antérieur avec lui… »
Cette fois-ci, tout se passe bien. Marie-Ange a eu le temps de prendre tout ce qu’elle voulait, et de partir pour une nouvelle vie, vers une destination secrète. Lorsque son ex-compagnon rentrera, il trouvera un appartement vide, sans petit mot, sans indice, à part une table à repasser trônant dans le salon… une façon pour Marie-Ange de dire : « Je suis une femme d’extérieur et non d’intérieur ! »
Heureusement, tous les déménagements ne sont pas forcément le résultat d’un tel drame familial. Parfois aussi ils sont un moment où les familles se réunissent dans la joie et la bonne humeur.
Ainsi, la famille Leroy, famille nombreuse s’il en est – 5 enfants et 15 petits-enfants-, en train de faire les cartons dans la maison de la grand-mère, Christine. Christine a 82 ans, un âge où les vieilles dames partent en maison de retraite généralement, mais pas celle-là ! « Moi en maison de retraite, jamais! » dit-elle, sourire au lèvres.
Malgré son âge respectable, c’est la première fois qu‘elle déménage de façon volontaire. La fois précédente, cette fille de colon, née et élevée en Algérie, avait fui ce pays après l’indépendance et ce déménagement-là, elle ne s’en est jamais remise. Alors, comme une revanche sur l’Histoire, ce projet d’aujourd’hui la réjouit énormément : « Là j’étais en train de m’encrouter, alors que maintenant je vais recommencer autre chose. » Aussi incroyable que cela puisse paraître du fait de son grand âge, Mme Leroy a encore un projet pour elle et sa famille : une maison dans un petit village du pays basque ! Pourquoi le pays basque ? Tout simplement parce que son père était originaire de là-bas, et que c’est le seul moyen pour elle de renouer des racines et de transmettre un patrimoine familial à sa descendance.
50 ans après avoir quitté l’Algérie, Christine Leroy a enfin réussi à surmonter son traumatisme. Au final, c’est une belle conclusion qui se dégage : quelles qu’en soient les causes et les motivations, un déménagement est une épreuve nécessaire pour aller de l’avant. Comme aime à le dire Mme Leroy, 82 ans : « Il n’est jamais trop tard pour réaliser son rêve ! »